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Remparts d'Aigues Mortes

  • Remparts d'Aigues Mortes

    Remparts d'Aigues-Mortes

     

    L'histoire des Remparts

    1 - Les origines d'Aigues Mortes

    Si on est fixé assez exactement sur la formation géologique du territoire d'Aigues-Mortes, on l'est beaucoup moins sur les origines de ses premiers  habitants et sur l'époque approximative à laquelle ils vinrent se fixer dans le pays.
    Jusqu'au commencement du XIXe siècle, une vieille tradition en attribuait la fondation à Marins, ce général romain qui, 102 ans avant notre ère, avait établi son camp sur les bords du Rhône et, pour la facilité de son ravitaillement avait fait creuser un canal désigné sous le nom de Fossé Marian ou Fossé de Marins. On prétendait que l'agglomération qui s'était formée à l'embouchure du canal de Marins était, devenue la ville d'Aigues- Mortes. Or, il a été démontré péremptoirement, que le camp de Marins se trouvait sur la rive gauche du grand Rhône, et que la bourgade établie à l'extrémité de la Fossie Marienne, était le petit village de Fos, non loin de Marseille. Certains auteurs, sans s'appuyer sur aucun texte, se basant simplement sur sa position topographique, ont considéré Aiguës-Mortes comme une création de l'abbaye de Psalmodi. 

    Cette abbaye, dont la fondation remonterait au Ve siècle, et dont le monastère a été pillé et incendié par les Sarrazins aux IXe et Xe siècles, se trouvait, au moment des Croisades, propriétaire du territoire sur lequel s'élevait la bourgade d'Aigues-Mortes, territoire qu'elle céda au roi Louis XI par l'échange d'un autre domaine ; ce qui me prouve pas que cette bourgade n'existait pas déjà, lorsque les moines se sont établis a Psalmodi. II semblerait plutôt, que la fondation d'Aigues-Mortes doive remonter à l'origine des salins de Peccais. Il faut bien admettre, en effet, que l'exploitation de salins aussi importants que ceux de Peccais, à une époque où le machinisme était absolument inconnu, nécessitait, sur place ou à proximité, une population suffisante pour fournir la main-d'œuvre indispensable aux divers travaux des salins, et pour les réparations urgentes en cas de dégradations par les eaux du Rhône ou de la nier. Or, on est absolument certain que les salins de Peccais n'ont pas été créés par les moines.

    D'après divers auteurs, du XVIIIe siècle, une colonie grecque de l'île de Rhodes, serait venue, quatre ou cinq siècles avant notre ère, se fixer à une embouchure du Rhône, attirée sur cette plage par la douceur du climat et le commerce des sels, et y aurait fondé une ville du nom de Rhoda, à l'endroit où se trouve Peccais, près d'Aiguës-Mortes. Si cette ville a disparu sans laisser de traces, les salins, eux, existent et rien ne prouve qu'ils n'ont pas été créés par cette colonie de Rhodiens. 

    D'autre part, diverses monnaies et médailles découvertes sur son territoire attestent le séjour des Romains dans la campagne d'Aigues-Mortes ; deux de ces médailles possédées par la famille Teissier, sont décrites dans un inventaire des Archives : l'une de Néron, rappelle une victoire sur les Arméniens, l'an 58 de notre ère ; l'autre de Valons, est du lVe siècle. Mais, s'il est pour l'instant impossible de citer des textes plus précis, affirmant l'existence d'Aigues-Mortes à une date aussi reculée, nous avons la preuve que le port et la bourgade d'Aigues-Mortes ou des Eaux-Mortes existaient bien avant que saint Louis n'en ait fait l'acquisition des moines de Psalmodi en 1248. En effet, divers actes des Xe, XIe et XIIe siècles, cités par Pagezy, font mention de l'église Sainte-Agathe qui se trouvait sur la rive du Petit-Rhône, non loin d'Aigues Mortes ; d'autres actes du XIIIe siècle, cités par le même auteur, ont trait à la vente par un sieur Pons Reynoard Meynes des pâturages de Listel à l'Ordre des Templiers pour le prix de 200 sols melgoriens. 

    C'est sur ce terrain se trouvait l'église de Saint-Clément, près du grau de la Chèvre. Si ces documents n'indiquent pas l'emplacement exact de la bourgade qui a été le berceau de la ville d'Aigues-Mortes, ils démontrent tout de même que le pays était habité depuis longtemps. Divers auteurs signalent également le départ pour la Syrie, en 1235, d'un navire appelé " Le Paradis", chargé à Aiguës-Mortes de marchandises diverses dont un lot de toiles de Flandre. Enfin, en 1239, une petite croisade conduite par Thibaut IV, roi de Navarre et comte de Champagne, s'embarqua dans le port d'Aigues-Mortes pour les Lieux Saints. L'existence du port et de la bourgade d'Aigues-Mortes est donc incontestable ; la population devait être déjà suffisamment importante pour fournir la main d'œuvre nécessaire aux travaux du port et à l'exploitation des salins

    D'une enquête faite en 1298, il ressort qu'avant saint Louis le port était entièrement libre, et qu'il n'y avait dans le pays, ni tour, ni pierre. Il faut donc admettre que, en raison de l'éloignement des carrières et des difficultés de transport, la population primitive construisait son logement et abritait les marchandises qui stationnaient sur le port, avec les matériaux qu'elle avait sous la main : le bois des pinèdes et les roseaux des marais. Il n'y avait aucune administration. Les moines de Psalmodi se chargeaient de la police et percevaient la dîme. Et cette dîme s'élevait parfois au quart des oiseaux et des poissons pris sur les étangs, marais et autres eaux du territoire.

    Les habitants se nourrissaient presque exclusivement de poisson frais et salé ; le pain était inconnu, il n'y avait pais de four. Le sol, absolument inculte ; le territoire entièrement composé, en dehors des marécages, de sable mouvant, de dunes couvertes de pins ou de baisses salées, ne pouvait fournir aucun produit frais : fruits ou légumes. Aucun herbage permettant l'élevage des bestiaux. La population isolée, ne communiquant que très difficilement avec les communautés voisines, menait une existence précaire et misérable. Nous allons voir que, par la suite, malgré les franchises et privilèges accordés par saint Louis, maintenus et confirmés par ses successeurs, même aux périodes de grande prospérité du port, la situation ne s'est guère améliorée et que, jusqu'au XIXe siècle, les générations qui se sont succédées ont toujours été décimées par les maladies et la misère.

    2 - Saint Louis

    Lorsque, vers 1240, les conseillers du roi Louis IX attirèrent son attention sur Aiguës-Mortes et sur les avantages que son port pouvait procurer, tant pour l'expansion commerciale de la France, que pour son influence politique vers le proche Orient, il n'était pas encore question de la croisade. Elle ne fut décidée qu'en 1244. Cependant, et bien que l'acte de cession officielle n'ait été signé qu'en 1248, dès 1241 des travaux avaient été entrepris. 

    Le plan d'une nouvelle ville avait été tracé, en même temps que celui d'une forteresse appelée plus tard la " Tour de Constance ". On s'occupait également de l'agrandissement et de l'aménagement du port. Mais, à ce moment, si la population indigène habituée à l'insalubrité de l'air, au manque (d'eau potable et aux autres incommodités du pays, pouvait supporter les rigueurs de ce climat malsain, il n'en était pas de même des étrangers pour qui, le nom même de la ville était comme un épouvantail. Aussi, lorsque en 1244, les travaux ordonnés par le Roi avançant trop lentement on voulut les activer, il fallut requérir des maçons d'Alès pour les obliger à venir à Aiguës-Mortes travailler de leur métier " sous peine de leurs personnes et de leurs biens ". 

    Et, pour encourager les étrangers à venir en foule peupler la cité nouvelle, en 1246, le roi accorda une Charte dont les dispositions en firent une cité privilégiée parmi toutes ses voisines. Par ces Privilèges, les habitants étaient affranchis de tous impôts, de toutes servitudes militaires, de toutes réquisitions, de tous les droits sur les ventes, les successions, les dots et de toutes dîmes seigneuriales auxquelles étaient soumis les habitants des autres localités. Il encourageait le commerce local, en supprimant tout péage par terre et par eau, en établissant un marché permanent et une foire annuelle, en instituant des Agents Consulaires dans tous les pays avec lesquels Aiguës-Mortes entretenait des relations d'affaires. Il accordait aux habitante le droit d'élire leurs Consuls et fixait les règles pour la répression de certains délinquants. Toutes ces marques de la faveur royale firent prendre à Aiguës-Mortes un rapide développement. Ouvriers et marchands affluèrent et, bientôt, la population primitive fut noyée dans le flot des nouveaux arrivants. Dans les premiers jours d'août 1248, une délégation se présenta devant le Roi pour lui soumettre un Mémoire exposant les principales revendications des habitants, auxquelles saint Louis ne crut pas devoir entièrement souscrire.

     

    3 - Les Croisades

    En 1244, le roi Louis IX, relevant d'une grave maladie qui l'avait conduit aux portes du tombeau, avait fait vœu de se croiser.  Sa résolution une fois prise, il choisit naturellement le port d'Aigues-Mortes comme lieu de son embarquement, et commença aussitôt les préparatifs de son départ. A son appel, une foule nombreuse de princes, seigneurs, barons et chevaliers accoururent vers Aiguës-Mortes suivis de leurs hommes d'armes, et dressèrent leurs tentes autour de la ville. Le Roi arriva à Aiguës-Mortes dans les premiers jours d'août 1248. Le port entièrement recreusé et agrandi se trouvait dans l'étang actuel de la Ville. Un grand nombre de petits navires y étaient déjà réunis attendant le départ. Les grandes nefs, fournies par le port de Gênes étaient à l'ancré dans une rade naturelle qui se trouvait en face du Grau Louis, à l'extrémité du Canal-Viel. Avant le départ, le Roi signa l'acte par lequel l'Abbé et les moines du couvent de Psalmodi lui cédaient la ville et le territoire d'Aigues-Mortes en échange d'une terre qu'il possédait à Sommières. 

    Les préparatifs terminés, le roi alla s'agenouiller dans la petite église Notre Dame des Sablon, non encore achevée, et l'embarquement commença Saint Louis prit place dans le port sur un navire d'un faible tirant d'eau qui, en traversant l'étang de la Marette et suivant ensuite le Canal Viel, arriva jusqu'à la haute mer par le Grau Louis. Là, il s'embarqua sur le vaisseau de haut-bord la " Montjoie ", qui devait le conduire en Terre Sainte. Le départ eut lieu le 25 août 1248, au milieu des transports d'enthousiasme des Croisés, des acclamations bruyantes de la foule d'étrangers qu'avait attirée le départ de l'expédition, tandis que la population voyait s'éloigner avec regret le pieux monarque à qui elle devait sa nouvelle existence. Le vœu et les prières de saint Louis ne furent pas exaucés. Le tombeau du Christ resta aux mains des infidèles.

    Malgré les secours considérables que lui amena l'année suivante, son frère, le Comte de Poitiers, le Roi fut vaincu dans les plaines de Mansourah, où son frère, le Comte d'Artois, trouva la mort. Il tomba lui-même avec ses deux autres frères et la plupart de ses valeureux chevaliers au pouvoir des Sarrazins. Après quelques mois de captivité, il obtint sa libération et celle de ses compagnons d'armes, en livrant Damiette pour sa personne et 800.000 besans d'or pour ses troupes. Avec les débris de son armée, le Roi se rendit en Syrie où il resta jusqu'à la mort de sa mère Blanche de Castille. Pour rentrer en France, où sa présence était indispensable, il s'embarqua dans le port d'Acre le 25 avril 1254 et, après un voyage très long et fertile en péripéties diverses, il débarqua à Hyères le 12 juillet suivant.

     

    4 - La Tour de Constance

    Peu après le départ de saint Louis pour la Croisade, c'est-à-dire vers 1250, les travaux de la forteresse furent achevés. Désignée d'abord sous le nom de "grosse forte tour", ce n'est qu'à partir du XVe siècle, dans une délibération de 1490, qu'elle figure sous le nom de "Tour de Constance" qu'elle porte encore aujourd'hui, sans qu'on ait été jamais exactement fixé sur l'origine de cette désignation.

    La Tour de Constance se dresse immense, majestueuse, un peu à l'écart de l'angle nord-ouest des remparts. Elle mesure 34 mètres 11 de hauteur, 22 mètres 50 de diamètre extérieur, et ses murs, à leur base, ont plus de 6 mètres d'épaisseur. L'ensemble comprend un rez-de-chaussée et deux étapes, avec une plate-forme que surmonte une tourelle de guet, supportant un lanternon coiffé d'une armature de fer protégeant la lanterne-phare du moyen-âge. La hauteur de cette tourelle, appelée Farot par certains auteurs, est d'environ 17 mètres. On accède à la Tour par un pont de pierres à trois arches long d'une trentaine de mètres. Lors de sa construction, on pouvait pénétrer dans la tour par une porte, face au nord, depuis longtemps aveuglée et barrée par une herse en bois. Cette première pièce constitue le premier étage de la tour et était appelée la "Salle des Gardes". Au centre de cette pièce, on remarque une ouverture circulaire ; c'est la seule voie d'accès conduisant au rez-de-chaussée de la tour qui servait de magasin à vivres, aux munitions, et probablement de cachot.

    La Salle des Gardes mesure 10 mètres de diamètre et 12 mètres de hauteur de-voûte; aménagée en vue d'un siège, elle possède un four pour la cuisson du pain, un puits fournissant l'eau potable et une citerne pour recueillir les eaux de pluie. Un escalier de pierre, en Spirale, conduit, par ses 190 marches, de la Salle des Gardes à la plate-forme de la tour. Mais avant d'arriver à la plate forme, on rencontre d'abord un chemin de ronde intérieur qui domine la Salle des Gardes et renforce le système de défense. Au-dessus se trouve la salle des Chevaliers qui est sensiblement la même que la salle des Gardes et qui forme le deuxième étage de la tour.  Cette salle est précédée d'un vestibule voûté, à colonnes surmontées de chapiteaux délicatement sculptés. La tradition donne à ce vestibule le nom Oratoire de saint Louis, appellation qui paraît bien justifiée. La tour s'élève au milieu d'un large fossé, comblé depuis longtemps, que circonscrivaient, du côté de la ville, les remparts quand ils furent construits, et du côté du port, un mur circulaire, sorte de contrescarpe, dans laquelle était ménagé le canal d'amenée des eaux remplis sant le fossé. Ce fossé fut desséché en 1670, et son emplacement devint ce qu'on appela la conque de la tour, dont on fit une promenade pour les détenus de la forteresse.

    Le mur de la conque a été démoli en 1835 et en 1837, le pont d'accès de la tour ayant besoin d'être réparé, le Génie, ne tenant aucun compte du vœu exprimé par le Conseil municipal de l'époque, boucha les trois arceaux de ce pont. Après un siècle, l'administration des Beaux-arts, mieux inspirée, vient de faire déboucher ces trois arceaux et consolider la caponnière. Pour compléter cette sage mesure, il reste à cette administration le devoir de faire enlever les grilles en fer qui empêchent la libre circulation sous le pont en question.

    Lorsqu'on est monté jusqu'au sommet, on ne regrette pas les fatigues de l'ascension. De la plate-forme de la tour, comme du parapet de la tourelle, la vue s'étend en un large panorama sur les étangs, les salins, les vignobles et la mer d'un côté, sur la plaine fertile de l'autre, avec le mont Ventoux comme fond de tableau. La Tour, construite pour saint Louis, ne garda pas longtemps sa qualité de résidence royale; les rois, d'ailleurs, ne firent plus que de rares et courtes apparitions à Aiguës-Mortes après saint Louis. 

    Elle devint prison d'Étatà partir de 1307, en ouvrant ses portes à 45 Templiers. Aux XIVe et XVe siècles, des princes royaux y furent enfermés. Au XVIe siècle, le parti calviniste, étant le plus fort à Aiguës-Mortes, y emprisonna des magistrats de la ville dans la geôle du rez-de-chaussée. Au XVIIe, ce sont des religionnaires qui, pour délit de conscience, y sont enfermés. Au XVIIIe siècle, c'est le tour de malheureuses femmes et jeunes filles protestantes qui y sont séquestrées pendant de longues années. Enfin, en 1815, la tour servit de prison encore une fois. Après Waterloo, la petite garnison d'Aigues-Mortes, surprise par un parti de royalistes, fut désarmée et ses officiers se virent enfermés dans la tour, d'où ils ne sortirent qu'à l'avènement de Louis XVIII.

     

     

    5a - Premières plaintes des Habitants

    Par l'acte de cession du mois d'août 1248, les moines de psalmodie avaient, sans la moindre réserve, reconnu au roi Louis IX l'entière propriété du territoire d'Aigues-Mortes avec tous les droits qu'y avait le monastère. Or, quelques années après le retour du roi en France, vers l'année 1260, les moines émirent la prétention d'exiger des habitants qui se livraient à l'exercice de la pêche dans les étangs, le paiement de l'ancienne dîme que versaient les pêcheurs avant l'échange. Sur le refus répété des habitants, le moines s'adresserent au Roi, qui chargea l'archevêque de Narbonne, G Foulques, d'arbitrer ce différent. Malgré les droits incontestables de la population, l'archevêque qui devait, quelques années plus tard, être élu pape, sous le nom de Clément IV, rendit une sentence reconnaissant à l'Abbaye de Psalmodi les droits de pêche et de chasse sur les étangs et toutes les eaux du territoire d'Aigues-Mortes ayant fait l'objet de l'échange de 1248. Cette sentence est de l'année 1262, et, comme les pêcheurs ne s'empressaient guère de s'y conformer, par Lettres patentes de 1264, Louis IX en ordonna la stricte exécution.

    5b - Deuxième expedition de Saint Louis

    Au cours des années 1265 et 1266, le Roi reçut les plus désastreuses nouvelles de Palestine. Toutes les places de Syrie qu'il avait fortifiées, étaient tombées aux mains des infidèles. Seule, la ville d'Acre était restée au pouvoir des chrétiens. Aussitôt, une nouvelle croisade fut décidée. Dès le mois de mars 1267, on commença les préparatifs de la nouvelle expédition; le projet déjà formé par le Roi d'entourer la ville de remparts fut ajourné jusqu'au retour de la croisade. Bientôt, la plaine d'Aigues-Mortes fut couverte par les tentes des seigneurs et de leurs troupes qui accouraient de toutes parts pour répondre à l'appel du pieux monarque. 

    Leur nombre devint si important que les derniers arrivés durent se fixer dans le bois de Sylveréal ou dans les Communautés voisines. On évalue à 60.000 le nombre de croisés qui s'embarquèrent à Aigues-Mortes. Le départ eut lieu le 3 juillet 1270. Comme la première fois, la suite royale atteignit la haute mer par le grau Louis, après avoir suivi le canal-viel. Pour cette deuxième croisade, au lieu de se rendre directement en Palestine, la flotte, sur l'ordre du Roi, se dirigea directement vers Tunis. Mais l'expédition fut de courte durée. En effet, le 25 août suivant, jour anniversaire de son premier embarquement, saint Louis expira, entouré des siens, au milieu des ruines de Carthage.

     

    6 - La construction des Remparts

    Philippe le Hardi, fils et successeur de saint Louis, ne tarda pas à exécuter la promesse que son père avait faite, d'entourer la ville d'une ceinture de remparts. Au mois de mai 1272, de passage à Marnande, il signa avec l'entrepreneur génois Guillaume Boccanegra un traité par lequel celui-ci s'engageait à consacrer 5.000 livres tournois à la construction des remparts d'Aigues-Mortes, moyennant l'abandon que le Roi lui faisait de la moitié des droits domaniaux auxquels la ville et le port étaient assujettis. 

    Les travaux commencèrent aussitôt et furent conduits avec la plus grande vigueur. Moins de deux ans après, ils étaient interrompus par suite du décès de Boccanegra dont les héritiers demandèrent au Roi de rompre les conventions faites avec leur époux et père. Philippe le Hardi consentit à leur abrogation et, d'après un rapport du sénéchal de Beaucaire de 1289, on voit qu'il restait encore pas mal à faire à cette époque. Mais le Roi ayant accepté les conclusions de ce même rapport, qui conseillait de faire continuer à la tache les travaux, ceux-ci furent repris et terminés à la fin du siècle. Les matériaux employés provenaient des carrières qui se trouvent le long du Rhône, en retrait de Beaucaire. Ils étaient transportés sur des radeaux en suivant le bras du fleuve qui venait se jeter à la mer par le Canal-viel, après être passé vers Aiguës-Mortes. Les dimensions des remparts sont les suivantes : côté sud, 567 mètres; côté nord, 497 mètres; côté est, 301 mètres et côté ouest, 260 mètres. Leur construction présente une particularité qui est restée caractéristique du XIIIe siècle: c'est la taille en bossage, ainsi nommée parce que le centre de la pierre présente des bosses, au lieu d'être uni comme le pourtour. 

    On remarque sur chaque moellon, des signes variés, gravés dans la pierre, que l'on suppose être des marques de tacherons employées parles ouvriers d'un chantier, afin qu'au règlement de compte leur travail pût être distingue de celui de leurs compagnons. Pour renforcer la défense du mur d'enceinte, on l'a flanqué de quinze tours, la tour de Constance non comprise. Elles sont à cheval sur le rempart, c'est-à-dire font saillie en dehors ou en dedans de l'enceinte. On les classe sous trois rubriques distinctes: tours carrées, tours jumelles et tours d'angle. Dix d'entre elles, ouvertes dans l'axe des principales rues de la ville, constituent en même temps les portes de la cité. La hauteur du rempart est de onze mètres, l'épaisseur de trois mètres à la base et de deux mètres 75 au sommet. La hauteur des tours est d'environ l8 mètres.

    Des escaliers, au nombre de 16, sont distribués par deux, à droite et à gauche des tours jumelles et des tours d'angle. Ils conduisent directement au chemin de ronde, espèce de promenade ménagée au sommet du rempart et faisant le tour de l'enceinte. En commençant la visite classique, la première tour que l'on rencontre est la tour carrée dite de Montpellier ou des Remblais. Elle est traversée par le chemin de ronde qui nous conduit à la tour d'angle sud-ouest, dite des Bourguignons, dont on connaît la légende, qu'on retrouvera plus loin. Après la tour des Bourguignons, sur la partie sud, nous traversons la tour carrée de l'Organeau, dont la porte est appelée du Thieure, et nous arrivons aux tours jumelles dites : porte des Moulins ou Porte Neuve. Cette porte était appelée des Moulins parce que, au début du XIVe siècle, on y avait établi, au sommet, deux moulins à vent pour moudre le blé des habitants du voisinage. 

    De la porte des Moulins, on gagne la porte des Galions plus connue sous le nom de Pourtalet, puis la porte de la Marine, par laquelle Charles Quint entra dans Aiguës-Mortes lorsque, le 15 juillet 1538, il vint rendre visite à François 1er. C'est ensuite la tour carrée, dite porte de l'Arsenal et, à l'angle sud-est, la tour des Pattus que l'on désigna sous le nom de tour des Poudres ou Poudrière, lorsqu'elle fut affectée à l'entrepôt des munitions et artifices. Après la tour de la Reine ou de Peccais, qui domine la face Est, on rencontre la tour carrée des Cordeliers, du nom d'un couvent fondé par saint Louis.

    Les tours de cette partie du rempart, tours de la Poudrière, de la Reine, des Cordeliers, ont été le refuge habituel dans les luttes entre catholiques et protestants ; aussi leurs murs sont-ils criblés de traces de projectiles, traces légères encore visibles, qui montrent qu'en ce temps-là on faisait plus de bruit que de mal. A l'angle nord-est se trouve la tour de Villeneuve, connue aussi sous le nom de tour des Masques. Sur la face nord, on voit d'abord la tour de la Mèche, dont le plan est une combinaison de la tour d'angle et des tours jumelles. Dans sa partie basse, elle est hémisphérique et fermée au dehors. Plus loin, nous avons les tours jumelles qui donnent passage à la porte Saint-Antoine, la seule au vocable de saint. La tour des Sels et des Poissons fait suite son plan est identique à celui de la tour de la Mèche. 

    La tour des Sels a servi de prison aux XVIIe et XVIIIe siècles. Enfin, la porte de la Gardette ou d'Artois ferme le circuit des remparts. De même plan que les tours jumelles, elle fut à travers les siècles la porte militaire d'Aigues-Mortes, la seule où l'on ait relevé les traces d'un pont-levis. Du milieu du seizième siècle à la fin du dix-huitième, elle était également la seule par laquelle on pouvait entrer en ville ou en sortir, pour des raisons plus fiscales que militaires, les autres ayant été entièrement murées. Elles ne furent rouvertes que dans le courant du xix" siècle, sauf celle des Moulins, qui le fut en 1778 lorsque, avec les terres provenant du creusement du canal de Beaucaire, on chaussa la partie sud des remparts, du côté de l'étang, pour en faire une esplanade, et que l'on combla les fossés entourant les trois autres côtés des remparts.

     

     

    7 - La Ville

    Construite d'après les plans établis par les ingénieurs du roi Louis IX, elle était à peu près terminée lorsque saint Louis revint de sa première croisade. La disposition de ses rues, parallèles et se coupant à angles droits, l'emplacement de la place publique, aujourd'hui place saint Louis, sont restés tels que lors de la construction. Rien n'a été changé ni à l'alignement, ni à la largeur des rues. Mais presque toutes les maisons ont été réédifiées ou restaurées. La rue principale était la rue d'Artois qui partait de la porte du même nom pour aboutir à la place publique. C'est aujourd'hui la Grand Rue.

    On peut regretter que, depuis moins d'un siècle, les divers propriétaires n'aient pas respecté les délicats motifs qui ornaient la façade de leurs immeubles. Les quelques sculptures de la Renaissance que l'on peut encore admirer sur deux ou trois maisons, donnent une faible idée de ce que devait représenter l'ensemble décoratif de cette rue. Nous n'avons aux archives, et nous ne connaissons pas ailleurs, aucun exemplaire du plan qui fut dressé pour la construction de la ville au XIIIe siècle. Mais, par l'état des lieux, et les divers et nombreux documents que nous avons consultés, nous pouvons le reconstituer assez exactement. 

    La partie nord-ouest était le quartier militaire, avec la place d'Armes, le château du Gouverneur communiquant avec la Tour de Constance. La rue longeant le rempart se dirigeant sur la porte de Montpellier et la Tour des Bourguignons, s'appelait la rue de la maison du Roi, et devait comprendre les logements des officiers subalternes de l'état-major. Sur la place publique, l'espace occupé par la halle actuelle et les immeubles voisins, et qui s'étendait en profondeur sur une centaine de mètres de la rue des Moulins à la rue du Thieure, appartenait aux moines de Psalmodi. Les autres immeubles delà place publique étaient occupés par des mangoniers et autres marchands. Il existait également sur la place publique une halle couverte qui a été démolie à la fin du XVIIIe siècle. La rue de la Marine qui était la partie du boulevard Gambetta actuel, allant de la rue Pasteur à la porte de la Marine, avait toutes ses maisons du côté du Levant construites en arcades. Elles étaient occupées par des administrations ou par des nobles et de hauts fonctionnaires. 

    Le quartier sud-est avait été réservé pour le couvent des Cordeliers et la Poudrière; il était affecté à la population la plus pauvre de la ville. Les maisons de ce quartier étaient si basses qu'un homme pouvait toucher la toiture avec la main. Elles étaient bâties sur un modèle uniforme, simple rez-de-chaussée, avec deux pièces sans couloir, une donnant sur la rue servant de chambre à coucher pour toute la famille. Ni plafond, ni plancher, ni carrelage, et pas la moindre installation hygiénique. Il existe encore deux ou trois spécimens de ces maisonnettes, servant de magasin, dans la rue Emile-Jamais prolongée. 

    Au XIIIe siècle, et pendant la courte période de la grande activité du port et de la prospérité relative de la ville, l'emplacement compris entre les remparts était entièrement recouvert de maisons d'habitation; sa population était d'environ 15000 âmes, d'après M. Alexandre Esparron. Mais, dès que l'activité du port déclina, ce déclin qui s'accentua jusqu'à la création du port de Sète, en 1866, consomma la ruine de celui d'Aigues-Mortes; la ville se dépeupla peu à peu. Elle n'avait plus que 2.000 habitants en 1770. 

    De nombreux immeubles, non occupés, tombaient en ruines et, plutôt que de faire des frais pour leur entretien, les propriétaires préféraient les démolir. Il fallut une ordonnance de l'Intendant de la Province en 1770, pour arrêter cette destruction. Au milieu du XVIIIe siècle, existaient, et même jusqu'en 1875, nous nous souvenons avoir vu, à l'intérieur des remparts, de grands espaces vacants, dont certains, entourés de fossés à l'eau croupissante, étaient livrés à la culture. Plus d'un quart de la surface intérieure de la ville était non-bâtie. Mais, à partir de cette époque tous ces vacants ont été lotis, et aussitôt recouverts de constructions à usage d'habitation ou de magasins à vin.

    Extrait d'un texte du Centre des Monuments Historiques

    Source : http://www.casteland.com/pfr/chateau/languedoc/gard/aiguesmor/am_hist.htm

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