Actualité - Allemagne : le palais du Kaiser ressuscité
Allemagne : le palais du Kaiser ressuscité
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Avec la reconstruction d'ici à 2015 de l'ancien château de Guillaume II ( ici sur une vue d'artiste), Berlin va retrouver une partie de l'histoire architecturale de son centre. La colossale bâtisse, ravagée par les bombes en 1945, puis rasée cinq ans plus tard par les communistes, abritera un centre d'échange des cultures du monde. Crédit photo : Association Berliner Schloss
VOYAGE DANS LA NOUVELLE EUROPE (5) - Au centre de Berlin, la reconstruction du château de Guillaume II va parfaire la réunification de la capitale et lui rendre sa cohérence architecturale. Pour éviter toute glorification du passé prussien, un musée des arts premiers y sera installé. C'est un signe du dynamisme culturel d'une Allemagne qui aspire à un rayonnement universel.
«Si c'était à refaire, je commencerais par la culture», affirmait Jean Monnet. Ce regret de l'un des pères de l'Europe était-il sincère ? À tout le moins, il était irréaliste, tant le poids de la Seconde Guerre mondiale pèse encore sur les esprits, soixante-cinq ans après la fin des combats. En témoigne la reconstruction à Berlin, entre 2010 et 2015, du gigantesque château habité jusqu'en 1918 par le controversé dernier empereur allemand, le Kaiser Guillaume II.
Le projet est follement ambitieux. C'est un peu comme si l'on décidait de rebâtir Versailles. Grâce à ce monument immense, Berlin va retrouver la cohérence architecturale de son centre historique. La colossale bâtisse, dont la construction avait débuté au milieu du XVe siècle, avait été ravagée par les bombes américaines et britanniques en 1945, puis rasée cinq ans plus tard par les communistes allemands, pour lesquels elle incarnait un symbole du militarisme allemand. À sa place, ils avaient laissé le vide, pour leurs parades triomphales. Puis érigé le Mur. Le nouveau château sera inauguré en 2015, vingt-cinq ans après le chute de ce Mur. Il contiendra un immense musée. Un musée consacré aux arts premiers.
Ainsi, dans le palais de Guillaume II verra-t-on des masques et des boucliers de sorciers africains, des photographies de chefs sioux, des boomerangs d'aborigènes australiens, des totems océaniens, des costumes de mandarins chinois, 500 000 objets ethnographiques exposés sur 37 000 mètres carrés. Pour le Berliner Schloss Post, ce sera «une plate-forme pour les échanges interculturels». La revue ajoute : «Pour apporter une contribution à l'état actuel du monde, il est nécessaire d'avoir un concept courageux, comme réponse à l'arrogance eurocentrique de l'Europe, et même à son ignorance.» Fouettons-nous donc, Siegfried, il n'y aura rien dans ce palais sur Cranach, Holbein, Dürer, Bach, Beethoven, Haendel ou Wagner, Lessing Goethe, Schiller ou Hölderlin, ces génies universels symbolisant «l'arrogance eurocentrique de l'Europe». Nos voisins, pour faire passer la reconstruction du palais de leur dernier Kaiser, auraient-ils sciemment exclu tout ce qui est allemand, et surtout prussien, de leur futur musée ?
Le travail de mémoire
C'est flagrant. On réalise, en regardant les photomontages de «l'avant» et de l'«après» reconstruction, que le complexe multiculturel prévu, est suffisamment «culturellement correct», à la mode du temps, pour servir de blindage aux critiques. Dans un article consacré au projet, la Lufthansa, la compagnie nationale allemande, évacue toute question embarrassante. Ce que représentait ce palais est ainsi résumé : «La construction du projet au cœur de Berlin n'est pas une glorification prussienne. Loin de là ; l'on rebâtit le palais pour accueillir un centre d'échange des cultures du monde.» La gaucherie des défenseurs de la reconstruction est compréhensible. L'Allemagne impériale, bien avant 1914, a nourri des tentations hégémoniques qui l'ont poussée à provoquer la Première Guerre mondiale. Ainsi que l'établit l'historien Fritz Fischer, Guillaume II et son état-major avaient décidé, avant 1912, une stratégie de guerre généralisée. Même si ce personnage a exprimé ensuite son horreur du nazisme, cela ne l'a pas empêché de féliciter Hitler après la capitulation française, en juin 1940. Ce militarisme allemand, cultivé depuis la fin du XIXe siècle, a ruiné notre continent et éteint durablement son influence.
L'Europe n'a plus de raison de s'inquiéter de ce souvenir, tant le «travail de mémoire» a été correctement effectué. Il fut tardif, comme partout, mais si complet qu'aujourd'hui encore, l'Allemagne ne sait plus où poser les pieds, dès qu'il s'agit de son identité ou de son passé.Berlin l'illustre parfaitement. C'est une grande ville cosmopolite de trois millions d'habitants, huit fois plus étendue que Paris. Une cité vibrante, attachante, une véritable capitale, spectaculaire, dont on aspire l'énergie avec bonheur. Les empreintes du nazisme ont été effacées. Les seules traces visibles et invisibles datent de la guerre froide, de la division du pays en deux États.
Au contraire de Paris, qui témoigne d'une totale confiance en l'identité nationale, puisque sa reconstruction au XIXe siècle a été menée par des architectes anonymes qui travaillaient dans un esprit collectif, Berlin a été confiée à des stars internationales de l'architecture moderne. Ces étrangers ont posé un objet à côté l'un de l'autre, dans un grand désordre. Ainsi la chancellerie ressemble-t-elle à une gare, la fabuleuse Bahnhof à un musée d'art moderne, et dans le Centre Sony, l'on se croirait à Tokyo. Autant Munich respire une harmonie toute latine, autant Berlin manque de cohérence. Cela démontre à quel point, vingt années après la chute du Mur, l'unité du pays est encore en suspens. Les deux parties de la ville ne sont pas recousues.
C'est la raison pour laquelle la reconstruction de ce palais est indispensable. Soudain la ville va retrouver un cœur, un centre, un axe, une perspective monumentale. L'homme derrière tout cela est un enthousiaste. Il s'appelle Wilhelm von Boddien. Il est amoureux de son projet. Un dimanche soir tard, il vient me retrouver dans mon hôtel pour m'emmener visiter le centre d'information où sont exposés les maquettes, les ébauches, les plans, les photos, et ce que je peux acheter pour aider à la reconstruction.
J'ai le choix entre un don à 50 euros, un élément de balustrade à 850 euros, une corniche simple à 3 710 euros ou un chapiteau corinthien à 34 000 euros. Serais-je intéressé par l'une des deux portes monumentales du château, à 4,356 millions d'euros pièce ? Von Boddien feuillette son catalogue, où des éléments de la façade sont déjà barrés de rouge, avec la mention «Vendu !» ou «Réservé». «Nous devons contribuer à ce projet en rassemblant 80 millions d'euros pour financer la façade du château, explique-t-il. L'État fédéral apportera 440 millions d'euros, et la ville 32 millions supplémentaires».
C'est une manœuvre audacieuse de von Boddien qui a fait basculer l'opinion allemande en faveur de la reconstruction. «J'étais à Paris, raconte-t-il, lorsque je suis resté ébahi devant la Madeleine que l'on restaurait à l'époque, et dont la façade était masquée par un trompe l'œil gigantesque. J'ai demandé à l'entreprise française spécialisée dans ces décors de me peindre une façade grandeur nature du château de Berlin, ce qui fut réalisé dans les anciennes usines Renault de Boulogne-Billancourt. Puis nous avons déployé cette immense toile sur le site même de l'ancien château, à Berlin, elle y est restée un an et demi. Lorsque nous l'avons enlevée, tout le monde l'a regrettée. En juillet 2002, le Parlement allemand a décidé que le château serait reconstruit.»
Une course au gigantisme muséal
Le projet a une autre ambition que celle d'assurer l'unité architecturale de la ville. Il veut offrir à la capitale allemande une cohérence muséale qui lui manque. Pour l'heure, encore dispersés autour du futur palais, se trouvent le Bode Museum (collections de sculptures), le fabuleux Pergamon (antiquités classiques), le remarquable Nouveau Musée (collections égyptiennes), le Musée ancien (collections grecques), la Galerie nationale (peintures du XIXe). Le futur palais ajoutera à cet ensemble les espaces de forums qui lui manquent, des cinémas, des salles de concert, et les Arts premiers, exposés depuis longtemps à New York, et plus récemment à Paris.
Le palais va donc permettre à Berlin de rattraper Washington, Paris et Londres, puisqu'il n'est plus de grande capitale sans musées admirables. En Europe, une course au gigantisme muséal s'est engagée. Sauf à Paris où le ministère des Affaires étrangères abandonne, de façon suicidaire, le contrôle des actions culturelles françaises à l'étranger, chacun dans le monde a compris que le rayonnement d'une nation dépend aujourd'hui de l'éclat de sa culture.
Car l'époque n'est plus où l'autorité morale d'une nation se mesurait aux démonstrations de force. L'Europe et la Chine ont bien démontré que leur diplomatie et le commerce donnaient des résultats supérieurs à l'interventionnisme militaire. L'Amérique de Georges W. Bush, en se faisant détester sur toute la planète pour son invasion de l'Irak, a servi de cas d'école. Barack Obama corrige le tir et Hollywood, toujours sensible à l'air du temps, va bien sûr lui emboîter le pas. L'Europe a d'autres atouts que la maîtrise de l'industrie du rêve. Elle a celle du bon goût. Ses musées donnent le ton sur la façon dont il faut raconter l'histoire du monde. C'est cette dimension universelle que l'Allemagne vise maintenant. En réécrivant l'histoire des hommes, et son histoire, à sa nouvelle façon.